écrire comme dessiner
pour voir
l'endroit du regard
le moment d'un espace
le point aveugle où bouge une vie
la focale d'un mouvement, d'une mémoire et d'une peau
le buisson d'un dessin
la forêt d'un oubli
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Dans ma pratique picturale comme dans ma poésie, je cherche une focale qui dise à la fois l'adossement au tangible et son affranchissement: le lieu qui vient, qui est perçu, qui échappe. Entre (in)visible et (il)lisible, ce qui traverse.
C'est de là, du cœur même de la désorientation, que je peux voir, ou mieux voir, ce qui au fin fond m'intéresse et m'engage. Le voir, presque le comprendre, et le dé-comprendre. Il y a ce va-et-vient dans mon vécu très intime, cette sensation d'être sans appui, et de tisser précisément à partir de ce point d'aporie. Peut-être à cause de mon regard de myope, peut-être parce que le vivant est déjà forcément ailleurs, hors de sa trace, dans le mouvement et la texture.
Une part de ces questionnements s'est façonnée dans mon métier d'historienne, ainsi que dans l'accompagnement de personnes dont le fonctionnement psychique (pour cause d'âge, de handicap ou de trouble psychique) interroge notre propre ici depuis son ailleurs. Dans les deux cas et bien que différemment, j'ai ressenti une mobilisation, une interpellation du où depuis lequel j'étais avec (avec l'archive historique, avec la personne).
A partir de ce point d'étonnement, le geste de mon dessin, de mon poème, est de saisir ce fil, d'en tenir la fugacité, la polysémie, les lieux & la mobilité, et de là tenter une parole avec.
Une forme.
A-poros: sans chemin.
C'est un peu ma mystique de poche, au fond. À ce propos, j'avais appris dans le merveilleux dictionnaire étymologique et historique d'Alain Rey, que mystère, mot et muet proviennent d'une même racine : °mu, évoquant le son émis avec la bouche close (mmm). J'aime beaucoup ce rapprochement, qui me parle (!) aussi de mon travail.